— seul sur ton tandem [prior]

Les prunelles du gamin se posent sur une mer, calme, maligne, maléfique. Ses allures paisibles cachent la catastrophe arrivé plus tôt. L’air de rien, personne ne la penserait capable d’enlever la vie à quelqu’un. Pourtant, c’est ce qu’elle a fait. Elle lui a pris son meilleur ami, doux Seamus qui vit encore dans le cœur de plusieurs adolescents endeuillés. Son cœur se sert en se rappelant la voix de celui-ci, en le revoyant se plaindre de fatigue tout en gardant le sourire. Cœur qui heurte, blessé et noyé de chagrin alors que les poings se serrent en réponse à la tristesse ressentie par le gamin. Ce soir-là, on croiserait la silhouette du gamin abattu, abandonnant la mer des yeux pour se concentrer sur le ciel. Il y est, là-bas : il flotte désormais dans l’univers. Les vagues bercent dangereusement l’ouïe du garçon alors qu’une perle parcoure sa joue. Un manque béant s’est créé dans sa poitrine. Son meilleur ami lui manque, son sourire et ses mauvaises blagues, son soutient et ses terribles conseils. Prior, dans son deuil, a su se mettre en tête que c’était sa faute. Après sa sœur, la vie a décidé de lui prendre son meilleur ami. Après la belle Gaïa, c’est Seamus qui s’est envolé. Il aime les imaginer ensembles, à veiller sur le garçon abattu. Elle l’aurait aimé, il en est sûr. Seamus était quelqu’un de bon, autant pour Wexford que pour Prior. Il ramenait le garçon sur terre quand celui-ci partait trop loin ; Seamus ramenait le bon côté de Prior, il était sa bonne partie et faisait battre le cœur qui pompait pour le bon. Maintenant, cœur nécrosé qui ne bat qu’au rythme de tristesse et de colère n’a plus personne pour battre correctement. De nombreuses questions se posent, lui qui voyait Seamus comme le meilleur homme dans l’univers. Lui qui souriait et qui pétillait en voyant l’autre sourire. Lui qui l’a aimé, vraiment et purement. Mais cet amour, de quel nature était-il ? Questions nombreuses qui noient le jeune homme, bercé par la peur d’avoir perdu son meilleur ami et le premier homme qu’il a pu aimer.

Il se souviendra toujours du sentiment qui l’a envahi lorsqu’on lui a annoncé que sa grande-sœur avait disparu. Goût amer de la tristesse dans sa gorge jusqu’à ses poings, ceux-ci serrés dû à la brûlure que la colère lui provoque. Brûlure vive qui éveille tous ses sens, brûlure qui n’a aucun sens pour un gamin de son âge. On lui fait un discours sur la mort et sur ce que ça fait aux gens, on lui dit qu’elle restera parmi eux, dans leurs souvenirs. On dit qu’elle ne sera jamais vraiment partie, mais ce n’est que mensonges : Sa sœur est partie, elle s’est envolée pour toujours, sans même faire ses adieux à son gamin de petit-frère en pleine croissance. On lui évite les détails trop brusques, comme le fait que sa mort n’est que le résultat d’une drogue répétitivement injectée dans son système, comme le fait que sa mort n’est due qu’à son addiction et que son bras était mauve d’usure. Les détails sont évités pour les jolis mots peu réaliste d’une mère attristée et d’un père endeuillé. Tas de conneries pour un garçon qui ne voit qu’injustice et tristesse. Avant qu’elle ne parte pour toujours, il se souvient lui avoir crié dessus parce qu’elle n’avait pas toqué avant d’entrer dans sa chambre. Il se souvient des mots crus balancer à son visage avant qu’elle ne sorte et qu’elle ne revienne plus pour l’éternité. Et l’éternité sans sa grande-sœur qu’il aime malgré ce qu’il peut dire, c’est une éternité qui semble sacrément chiante.  

Les gamins autour de lui s’amusent et rigolent à s’en arracher les poumons, alors que lui reste figé là comme une âme vagabonde, cigarettes entre les lippes, fumée s’échappant dans l’air frais d’Irlande. Sa mère le tuerait si elle le savait entrain de fumer et cette pensée arrive à l’amuser. Les temps se font plus sombres dans la tête du jeune homme, celui-ci se sentant moins lui, moins Prior et plus fantôme. Tout n’est qu’atomes et molécules, mais lui n’a l’impression d’être que particules d’air, le sentiment d’être à côté, transparent, pas aussi visible et vivant que les autres. Impression qu’une partie de lui est nécrosée, que son âme a pourri avec les tombes de ses défunts. On donnerait tout pour qu’il passe au-delà ; des rendez-vous avec un psychologue trop mauvais pour la complexité du jeune homme, un budget énorme pour des études qu’il fout en l’air ces temps-ci, un bon nom de famille pour une réussite assurée. On lui donnerait les cieux, il en ferait un Enfer. On lui donnerait les Dieux et ceux-ci se transformeraient aux simples être-humains lambda sans importance. Tout n’est que poussière entre les mains du garçon et bientôt, lui s’envolera avec.