sorry (niall)

une main levée, hésitante, s’apprête à sonner avant de se raviser. son poing se serre et evie observe la porte devant elle comme si elle détenait toutes les réponses à ses questions. pendant un court instant, l’idée de tourner les talons et de rentrer chez elle, enterrer cette histoire parmi les autres milliers de détails peuplant les limbes de sa mémoire la tente, mais elle n’a jamais été lâche, evie. arrogante, oui. hautaine, sûrement. froide, têtue, garce, on l’a traitée de bien des noms, lui a accolé de nombreux qualificatifs, mais « lâche » n’en a jamais fait partie. elle aime se dire que malgré ses nombreux défauts, on ne pourra lui reprocher son honnêteté et sa franchise, et si elle n’hésite pas à cracher la vérité à la figure de ceux qui refusent de l’entendre, elle s’est juré de s’appliquer ce même principe. en l’occurrence, la vérité est qu’elle a merdé et qu’elle se doit de s’excuser. elle a beau eu chercher, même elle ne pourrait justifier de l’avoir traité de cette manière, de l’avoir injurié de cette façon.
elle respire un bon coup, compte jusqu’à trois et sonne. le temps se suspend à ses côtés, compagnon dans son attente, comme les battements de son cœur qui s’infiltrent dans ses tympans. elle a rarement été nerveuse, evie. toujours du bon côté de la vie, celui des puissants, des gagnants, plutôt reine que courtisane, davantage tyran qu’innocent demandant pardon. alors se retrouver là, priant toute divinité qui voudra bien lui accorder sa bonté qu’il n’allait pas la rejeter, c’est inhabituel. une situation rare qu’evie n’entend pas perpétuer mais encore une fois, elle se répète qu’elle ne se donnera pas l’occasion de se défiler. hors de question.
la porte s’ouvre et son souffle s’échappe. ses prunelles croisent les siennes et elle s’interdit de détourner le regard. s’interdit de se voiler la face. « bonjour. » sa voix n’est pas aussi assurée qu’elle aurait voulue, mais elle remercie le ciel pour l’absence de tremblements. ses pensées la désertent un instant et elle se demande ce qu’elle fait là, pourquoi elle fait ça. s’il se souvient d’elle. un battement de paupières, sa gorge se serrant à la réalisation qu’elle marche droit vers une humiliation. tu l’as mérité. tu l’as mérité, qu’elle se rappelle tandis qu’elle relève le menton, les souvenirs de cette fameuse journée se déroulant dans sa tête comme si c’était hier. s’éclaircissant la voix dans une veine tentative de gagner du temps – pour quoi ? une fuite qu’elle se refuse ? – ses lèvres finissent par laisser échapper « je voudrais vous parler. » et elle attend. attend le refus, le claquement de porte, le déchainement de colère et les injures. après son comportement, les horreurs qu’elle lui a jeté à la figure comme si elle en avait tous les droits, ce serait justifié. cela ne l’empêchera néanmoins pas de lui présenter ses excuses.

soulagement qui s’infiltre dans ses veines lorsqu’il la laisse rentrer. malgré son ton dur et son visage fermé, il accepte de lui parler. elle lui jette un énième coup d’œil, pour lui dire merci ou pardon, elle ne sait plus trop, et passe à côté de lui pour rentrer dans sa demeure. plusieurs pas silencieux et elle s’immobilise, evie, balayant d’un regard la vue qui s’offre à elle - la table basse en désordre, les bouteilles d’alcool abandonnées - avant de se poser de nouveau sur lui. elle n’a pas pour but de s’immiscer dans sa vie privée, a conscience de s’introduire dans sa sphère personnelle. de s’imposer chez lui, dans sa zone de confort, dans sa bulle de réconfort, sans y être invitée. et parce qu’elle connait la sensation, celle de se faire voler son intimité, elle ne fait pas de commentaire particulier et préfère se concentrer sur la tâche qui l’a amené ici. après tout, elle l’avait déjà assez mal jugé et aucun des deux n'avait vraiment apprécié les conséquences de son acte. alors elle ignore son visage mal rasé et ses vêtements froissés, prend une dernière inspiration avant de finalement laisser les mots s’échapper. « je suis désolée. » prunelles qui accrochent les siennes, dévoilant toute l’honnêteté contenue dans ces trois mots si banals et pourtant si sincères. « je n’avais aucun droit de vous parler ainsi, et encore moins de vous insulter, quelles qu’en soit les raisons. » des raisons elle en avait mais aucune n’est justifiée, ni d’avoir été bousculée la première fois qu’ils s’étaient rencontrés, ni d’avoir reçu un message vocal de sa mère outrée que sa fille unique ne soit pas encore rentrée, ni d’avoir juste passé une horrible journée. « je me suis défoulée sur vous alors que je n’avais pas à le faire, et je ne voulais pas… je n’avais pas l’intention de…  » vous faire pleurer « … de vous blesser. » sa voix déraille et ses yeux fixent le sol, incapables de soutenir le regard de cet homme qu’elle avait conduit aux larmes. evie avait fait bien des choses dans sa vie, rarement cruelles, souvent blessantes, mais jamais, jamais humiliantes à ce point. et le souvenir de ses pleurs hante les heures sombres de ses nuits depuis ce jour fatidique. jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus le supporter. jusqu’à ce qu’elle ait besoin de s’excuser. parce qu’evie est une reine de glace sans un cœur de marbre. parce qu’evie sait reconnaître ses erreurs à défaut de les éviter et sait s’excuser. parce qu’il se trouvait au mauvais endroit au mauvais moment et qu’il n’avait pas à payer pour les cicatrices sur son âme dont il ignorait l’existence. elle relève la tête, méritant de subir sa colère et de vivre son humiliation. « je suis sincèrement désolée. »

son bégaiement la surprend et elle le dévisage, evie, stupéfaite. ne comprenant pas son ton. ne saisissant pas sa question. « et bien, oui, je m’excuse. c’est le moins que je puisse faire, non ? » froncement de sourcils tandis que ses prunelles dévisagent cet inconnu qui semble presque incrédule face à ses excuses. s’ils avaient été à singapour, dans cet univers où personne n’attendait des young qu’ils courbent l’échine et baissent la tête, elle aurait compris son étonnement. mais ici ? où personne ne connait son passif, où tout le monde ignore son ancienne vie ? elle trouve son comportement plus que normal : n’est-ce pas ce qui est couramment attendu ? même si elle a été élevée dans l’optique de régner, evie a appris à descendre de son trône depuis longtemps maintenant. elle sait regarder la vérité en face, sait quand elle a gagné et quand elle a fauté. bien qu’elle maudisse désormais le nom de ses parents à longueur de journée, elle a conscience qu’ils l’ont néanmoins bien élevée. avec suffisamment de jugeote pour qu’elle comprenne que le blâme est le sien. elle s’était donc attendue à de la colère, du mépris ou même de l’arrogance, mais à cet ébahissement ? elle ne comprend pas. les traits du jeune homme se crispent et elle croit voir arriver le déversement de fureur. son regard quitte le sien et elle baisse la tête, penaude, avant de la relever aussitôt lorsqu’elle n’a droit qu’à une pique presque glaciale, un semblant de froideur. et c’est bien parce qu’elle a été reine de glace qu’elle sait reconnaître la brûlure du gel dans le ton de quelqu’un. qu’elle ne retrouve pas dans le sien. « non, vous étiez juste là au mauvais moment. » admet-elle avec honnêteté, ne sachant pas réellement comment réagir. ne lui cachant pas non plus que son contrôle sur ses émotions avait juste cédé, sans rentrer dans les détails. elle soutient son regard parce qu’il mérite de voir la vérité, qu’il doit savoir qu’elle est sincèrement désolée. « et moi, j’y ai repensé et je tenais à m’excuser. » qu’elle lui affirme catégoriquement, un soupçon de défi dans la voix. comment pouvait-il balayer cet incident de la main comme s’il ne s’était rien passé ? elle ne comprend pas pourquoi elle a l’impression de rencontrer de la fragilité dans son regard quand il n’aurait dû être que mécontentement. elle se ressaisit un peu et lisse des plis imaginaires sur son pantalon, essayant de remettre de l’ordre dans ses esprits. elle ne sait pas comment le lire, comment l’aborder et cela la déstabilise profondément. « j’aurais compris, si vous m’en teniez rancune. » aucun jugement ni dans sa voix ni dans son regard. et parce qu’elle est un peu méfiante face à tant d’impassibilité, parce que son attitude voulue impénétrable laisse evie voir une incertitude qu’elle ne parvient à cerner, elle campe fermement sur ses positions, l’observant sans se cacher.

le regard qu’elle lui lance est sidéré, accompagné du froncement délicat de ses sourcils. « pourquoi serait-ce une mauvaise blague ? vous en connaissez beaucoup des personnes qui feraient ce genre de choses ? » la logique de son raisonnement lui échappe, elle qui n’a pas connu ce genre de cruauté. habituée aux murmures et aux rumeurs, familière des coups bas et des poignards dans le dos, les vipères qu’elle a connu sifflaient certes sans arrêt mais sans jamais véritablement cracher de poison. car certaines lignes sont infranchissables, certains comportements inenvisageables, même pour des millionnaires qui se pensent tout permis, jamais redevables. non pas par acquis de conscience, simplement parce que leur honneur ne pourrait le supporter. evie ne peut ainsi imaginer s’abaisser à commettre un tel acte, à rire de la dignité d’un homme. elle qui a déjà fragilisé la sienne, revenir lui faire ce genre de blague ? ce serait comme lui tirer une balle à bout portant. et pour qu’il la croie capable d’un tel acte, cela en disait long sur ce qu’il pensait d’elle, sur ce qu’il pensait tout court. elle le regarde se servir un verre, décline sa proposition d’un ton poli mais ferme. « non merci. » tout à coup consciente qu’elle ne sait absolument rien de lui tout en ayant agi comme s’il elle l’avait lu comme un livre ouvert, elle s’efforce de poser un regard neutre sur son interlocuteur. et evie se demande soudainement quelle personne se cache derrière la méfiance et les remarques presque cinglantes. quelle personne se trouve derrière ces traits crispés et ce visage fermé, ces vêtements froissés et les larmes versées. elle est désormais certaine de l’avoir horriblement mal jugé, car quelqu’un qui ne pense pas mériter des excuses n’est pas né avec l’idée que personne ne lui en devait – même lorsque c’est le cas. evie aimerait lui rétorquer que si, elle lui en devait, aimerait le secouer jusqu’à qu’il s’en convainc lui-même. mais elle comprend qu’il veuille tourner la page, passer à autre chose ; ce n’était pas comme s’ils souhaitaient tous les deux revivre cette journée. elle laisse couler, bien que ce ne soit pas dans son habitude. mais en même temps, pourquoi persisterait-elle ? ce n’est pas comme s’ils se connaissaient, comme s’il comptait pour elle. « ça, pour une mauvaise journée, c’en était une, c’est sûr. » autodérision qui teinte sa voix, un sourire légèrement amer se dessinant sur ses lèvres au souvenir de cette fameuse journée qui avait réuni enfer et paradis. « mais une rencontre comme la nôtre ? vous en conviendrez que c’est plutôt rare. » et heureusement. bien d’accord avec son ricanement bien qu’elle ne le reproduise pas, elle secoue la tête comme pour chasser un souvenir d’enfant. elle relève la tête lorsqu’il se présente, croise son regard un court instant. niall. enfin un nom sur ce visage qu’il l’a hanté bien des nuits durant. « je m’appelle evie. » elle lui lance un petit sourire, plus doux cette fois, les traits plus détendus. peut-être parce que la confrontation qu’elle attendait n’est pas venue. ou alors parce qu’il est tout l’opposé de ce qu’elle a imaginé : méfiant, perdu, nerveux. tout comme elle, en somme. et comme il a fait le premier pas pour briser la glace, elle décide d’être la première à briser le silence qui s’installe. « cela fait longtemps que vous habitez à wexford ? » question banale, ou pas tant que ça ? un regard porté sur le salon et evie se rend compte que ce n’est peut-être pas le meilleur sujet de conversation qu’elle ait trouvé. néanmoins, une part d’elle est curieuse, espère qu’il répondra à sa question.