SOUVENIRS D'ÉTÉ; SOUVENIRS ÉTHÉRÉS (noée)

le port, c’est probablement le port que j’aime le plus ; disait grand-mère. elle aimait le port parce qu’elle y avait rencontré grand-père il y a longtemps et que si par ce même port il était reparti, leurs souvenirs l’emplissaient toujours. tu sais grand-père est un pirate, un explorateur ; il cherche l’eldorado et un jour, il m’y emmènera. vous pourrez venir bien sûr, pour les vacances. elle répétait souvent, un sourire aux coins des lèvres. elle savait qu’il ne reviendrait pas, l’avait toujours su mais grand-mère aimait raconter des histoires. papa appelle cela des mensonges mais maman dit que c’est grossier, qu’elle arrange juste la vérité et les cousins se pressent autour de grand-mère pour écouter.
ces moments, ces histoires noée les attendaient toute l’année, grand-mère aussi il paraît. noée ne saurait dire si elle se languissait le plus de grand-mère ou de wexford mais une chose était certaine : elle se languissait. le gris dont paris débordait l’étouffait. il était partout : dans le ciel, sur les murs, mais surtout sur les vêtements, les visages de papa-maman. ce qu’elle détestait plus que le gris, c’était les couleurs artificielles dont la ville essayait de s’habiller -les goûts et les odeurs aussi. comme pour tenter de lui faire oublier wexford -et cela fonctionnait parfois, une fraction de seconde. chez grand-mère les couleurs étaient différentes, plus douces, moins criardes mais surtout plus vraies. vrai. c’était le mot qui décrivait le mieux wexford selon elle. c’était le seul endroit où elle se sentait vraiment vivre, vraiment elle.
wexford a donc toujours eux pour noée et les cousins un goût de vacances ; vacances qui appliquaient à la ville une sorte de filtre merveilleux, décuplant chaque beauté de cet endroit -leur sanctuaire. wexford lieu de miles légendes, miles histoires. lieu de chacune de leurs aventures. un de ces lieux que le temps n’altère pas enfin il paraît..

mais cet été est différent, le filtre semble biaisé, le sort rompu et rien ne viendra panser la plaie causée par la mort de grand-mère. tout est fini, les choses ne seront plus jamais les mêmes et les cousins sont tous secoués : le temps passe. il faut grandir. fini l’été et les vacances. à wexford aussi il fait gris.
dures réalités qui les frappent plus fort que le vent côtier. et s’ils pensaient que l’été allait une fois de plus les bercer doucement, alléger leurs peines, ils se sont trompés. et grand-mère ne dira plus tu sais ma douce, se tromper ça n’est pas grave. tu sais ma douce, je crois en toi. et grand-mère n’essuiera plus les échecs de l’année passée du revers de la main. pourtant noée en aurait eu besoin…
cette année, paris ne l’a pas épargnée : scolarité ratée. papa et maman enragés. le ton qui monte, les larmes aussi. mais qu’est-ce que tu vas faire de ta vie??. et une valise faite à la hâte, un aller simple pour l’Irlande. le temps de réfléchir, de penser à grand-mère et aux manières dont elle lui aurait remonté le moral.

puis le vent, le port; puis elle se sent revivre. la sent revivre.


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