dans les champs (eion)

La valise claque lorsque tu la fermes alors qu’elle déborde presque de toutes tes affaires. Armoire vide et tout le reste de ta chambre. Peut-être était-ce un peu triste de voir que tout cela, toute ta vie adolescente et de jeune adulte, tenait dans une seule et même valise. Mais, au moins, tu ne serais pas embêté pour partir. Parce que c’est ce que tu faisais. Tu partais. Peut-être pour ne plus jamais revenir. Ou du moins, pas si régulièrement que ça. Parce que maman s’était envolée. Parce qu’il n’y avait plus que toi et les autres. Père, frères et sœurs. Des personnes qui finalement, ne te comprenaient peut-être pas si bien que ça. Ou, était-ce toi qui étais un peu trop décalé pour leur monde à eux ? Tu n’avais jamais su. Jamais. Mais, maman arrivait à apaiser tout ça. Doux sourire sur son visage. Quand elle comprenait d’elle-même ce qu’il se passait dans ta tête. Parce que tu ne voulais pas devenir éleveur de bovin. Parce que tu ne voulais pas… Tu ne pouvais pas être éleveur de bovin. Même si tu ne l’as jamais montré, jamais dit. Non. Pas capable d’assumer entièrement tout ça. Tout ça, toi. Te relever, et commencer à marcher vers la sortie. Tu sais bien que tu seras là pour le prochain repas dominical. Mais tu sais aussi que papa, est plutôt mécontent de ton choix. Le seul qu’il connaisse. Le seul que tu aies dit. Peut-être aussi parce que tu as insisté longtemps pour suivre ces études dont tu n’avais pas besoin. Tu sais pour faire partie de cette ferme. Avocat. Tu faisais en sorte de ne défendre que les causes qui te semblaient nobles. Parce que tu n’étais pas le genre de personne capable de défendre l’impensable.

La porte claque. Là, dans ton dos. Ne pas te retourner.

La porte claque. Là, dans ton dos. Alors que tu franchis à nouveau le seuil de ton nouveau chez toi. Appartement suffisamment spacieux. Moderne et calme. Tout ce qu’il fallait pour que tu te sentes chez toi avec ces meubles à l’esprit scandinaves et la chaleur des peintures aux murs, des tapis au sol. Tu avais choisi avec précision ton lieu de résidence. Ce lieu dans lequel tu serais réellement toi. Garçon trop rêveur, garçon un peu artiste et littéraire. Tu rêvais de roman. De fleurs et d’amours. Naïf pour certain, tu aimais juste penser au meilleur du monde. Peut-être est-ce pour cela qu’un jour, tu t’étais décidé. Que plus jamais tu ne mangerais d’animaux. Tu n’étais qu’un enfant à l’époque. Et tu ne l’avais pas assumé. Pas entouré des bovins de la ferme. Pas entouré de ta famille. Non. Alors, tu t’étais juste tus. Jusqu’à prendre ton envol. Devenir papillon, enfin. Comme ce coming out que tu n’avais toujours pas fait.

Rire trop fort alors que tu glisses le verre vers l’autre garçon à tes côtés. Te fichant bien de savoir s’il est gay, ou pas. Tu passes juste une bonne soirée. Musique à tes oreilles. Discussion intéressante. Pourquoi tu ne te ferais pas simplement un ami. Ou plus, si jamais. Parce qu’il te plaisait grandement. Mais, ne pas trop tenter. Un peu timide. Un peu maladroit parfois. Lui sourire. « Je te l’offre. » Et boire une gorgée de ton propre verre. Et reprendre cette discussion comme si de rien n’était. Oué. Vivre. Un peu comme tu le veux. Vivre. Enfin. Tu te demandes parfois, ce qu’ils penseraient en te voyant ainsi. Mais, tu ne veux pas le savoir. Parce que tu ne leur a toujours pas dit, Eion. Cela fait maintenant trois ans. Trois longues ou courtes années que tu es parti. Et tu n’as toujours pas osé le dire. En fait, tu n’as toujours pas osé être toi, en passant les portes de la ferme.